Bernard Duporge



                                    Un orage, un courtiou abandonné, sur la route de Sainte-Hélène ou aux environs, un feu de bois, une apparition, celle d’un vieux berger et de son petit-fils, et voilà que remontent pour Bernard Duporge et pour les lecteurs de son dernier ouvrage, Les racontars du courtiou, tout récemment paru à Bordeaux aux éditions Elytis, collection « Les contes », les souvenirs des veillées d’antan, lorsque l’assistance, faite de bergers et de paysans, contait en gascon en filant la laine ou en égrainant le maïs. Alors retentissaient les mots magiques: C’était dans l’autre siècle, peut-être même le siècle avant, on ne sait pas trop. En tout cas, il y a longtemps. Voilà pour les mots de l’auteur canaulais mais en gascon, cela se disait aussi « Qu’i avé un còp », il était une fois. Voilà aussi que se trouvent convoquées par la bouche du grand-père et de son petit-fils les grandes figures du conte populaire et que se pose la question fondamentale: Mais dis-moi grand-père, tu en as connu toi, des sorcières? Alors, dans une attitude qui rappelle celle du « vieux Cazaux » le principal et meilleur informateur du premier et du plus grand folkloriste de la Gascogne, Jean-François Bladé[1], le vieux sourit, essuie sa moustache, et se met à conter. Avec le premier racontar sonne donc l’heure de la sorcière. Accusée entre autres de jeter des sorts, de nuire à la santé humaine ou animale ou de détruire les récoltes, cette figure historique et sociale, brûlée sur les bûchers de l’inquisition a peuplé les mythologies, les comptes rendus de procès du moyen âge jusqu’au XVIIIe siècle, avant de se retrouver dans la littérature orale puis écrite et dans les arts. Elle peuple les contes populaires, souvent aux côtés de messire Satan et ne cesse de fasciner conteurs, écrivains et artistes. Chaque région a ses sorcières et la nôtre est loin d’être en reste:  posoèra gasconne, broisha landaise, hitilhera, nom donné en référence au sabbat, ou simplement sourciéyre, mais la sorcière est-elle toujours vieille, laide, boiteuse, borgne, bossue, édentée et surtout malfaisante? Quel rôle joue-t-elle dans le déroulement et l’évolution des intrigues du « Chemin de la messe » et de « La couette », le premier et le troisième récit du recueil? N’est-elle qu’un rôle ou un personnage à part entière? La sorcière de Bernard Duporge est-elle un personnage réaliste ou une figure mythique? « Chouette noire », « vieille Angèle », qui êtes-vous? Que faites-vous? Pourquoi et comment êtes-vous devenues sorcières? Quels sont vos pouvoirs, vos pratiques, vos rituels et vos attributs? Comment, pourquoi et sur qui les exercez-vous? En quoi êtes-vous les héritières de la sorcière traditionnelle du conte occitan et en quoi êtes-vous bien des sorcières du XXIe siècle? Quel est votre message? Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions nous nous interrogerons d’abord sur le rôle exact de ces sorcières dans le récit de l’auteur pour tenter d’établir leur portrait type et nous chercherons enfin à lever le voile sur la valeur symbolique de ce personnage à la fois si familier et si terrifiant dans l’œuvre de Bernard Duporge.



                                      Deux racontars mettent en scène des sorcières, le premier « Le chemin de la messe » et le troisième « La couette ». Dans les deux récits la sorcière apparaît comme l’un des personnages principaux. Le personnage est d’abord un acteur de l’intrigue et le rôle qu’il y joue est défini par la place qu’il y occupe ainsi que par ses relations avec les autres personnages. Le premier conte-nouvelle a pour objet la mort par noyade, survenue devant la maison de la sorcière du village, du sacristain de Sainte-Hélène venu constater l’état des chemins en vue de la procession des rogations. Mauvais sort, meurtre ou accident? La sorcière a-t-elle causé cette mort par son commerce avec le diable? Les habitants l’accusent en tout cas d’avoir vendu au diable la clochette de cuivre volée au sacristain et seule la découverte du cahier personnel de la sorcière survenue après sa mort démentira cette version des faits faisant de la redoutable et coupable alliée de Satan une pauvre vieille veuve victime de la misère et des superstitions. Le troisième racontar met en scène une crise sorcellaire: le héros, Gabriel perd d’abord son travail dans une scierie et redevient journalier, c’est-à-dire travailleur précaire. Ce coup du sort menace de le faire sombrer dans l’alcoolisme. Rêves de voyages avortés, mariage stérile, langueur, l’homme se croit maudit, poursuivi par une malchance remontant à son enfance et causée par sa mère. La terrible accusation de mauvais sort retentie alors.
          Dans les deux récits c’est la sorcière qui déclenche ou semble déclencher l’action, la mère de Gabriel en jetant peut-être un sort à son fils et la chouette noire en laissant le sacristain se noyer. Est-elle un suppôt de Satan pratiquant des messes noires comme le soupçonne l’ensemble du village? Compte tenu des écrits trouvés à sa mort il semble surtout qu’elle soit coupable de non assistance à personne en danger, de vol et de recel. C’est elle cependant qui est le moteur de l’action lorsqu’elle abandonne le sacristain après l’avoir dépouillé. Le titre de ce premier racontar provient donc directement du résultat de son action réelle ou supposée. « Le chemin de la messe » prend, grâce à elle, la dimension d’un récit étiologique, c’est-à-dire donnant les causes d’un état de fait actuel, puisque c’est de la sorcière et de ses aventures que le chemin menant au hameau qu’elle habitait a tiré un nom qu’il n’avait pas auparavant. Quant à « La couette », son titre est transparent et fait allusion aux manifestations physiques et aux traces matérielles laissées par un mauvais sort très connu dans notre région mais aussi dans toute la Chalosse, les Landes et le Marensin: Le « maou dat ». 
           En commettant leurs méfaits les sorcières sont à l’origine de l’action. Elles influencent le cours du récit lorsqu’elles se trouvent comme la « vieille Angèle » en position d’adjuvant assistant le héros dans sa quête pour retrouver chance et santé physique et morale. La « chouette noire », au contraire, en profitant de son crime et en gardant jusqu’à la fin de sa vie le silence sur les causes réelles de la mort du sacristain joue le rôle d’un opposant face à des villageois en quête de vérité. Elle ne devient leur adjuvant et pourvoyeuse qu’en laissant ses écrits. Elle s’y adresse d’ailleurs directement au prêtre. La « vieille Angèle », en indiquant à Gabriel la marche à suivre pour conjurer un possible mauvais sort, précipite et influence le dénouement tragique du récit puisqu’elle a créé le contexte et préparé les circonstances de l’accident fatal. Le visage paisible du mort laisse cependant penser qu’elle a été l’adjuvant qui a permis à sa quête de paix et de sérénité d‘aboutir.
          Maîtresses de récits qu’elles dirigent de leurs débuts jusqu’à leurs dénouements, les sorcières de Bernard Duporge sont bien des femmes douées du pouvoir d’influencer la vie, la mort, les destinées des personnages de ses contes.



            Le domaine d’application le plus évident, le plus courant et le plus direct du pouvoir sorcier semble bien dans les contes de Bernard Duporge comme ailleurs être celui de nuire à la santé humaine ou animale par le recours au mauvais sort. Lorsqu’elle utilise ce pouvoir la sorcière s’en prend physiquement à son ennemi. C’est-ce qui fait de la sorcellerie une « lutte à mort » ainsi que l’a démontré l’anthropologue Jeanne Favret-Saada[2]. La sorcière, en s’ attaquant directement au corps de son ennemi, menace avec sa santé physique et son corps, le seul outil de travail du « brassier ». Capacité de production indispensable à la survie économique, génération, on peut alors songer au nouement de l’aiguillette qui expliquerait la stérilité du couple, la sorcière atteint l’ensemble du potentiel bio-économique de sa victime jusqu’à mettre en péril sa survie. Elle entraîne ainsi un sentiment de précarisation, et d’insécurité et tire son pouvoir de la peur fantasmatique de la dévoration ainsi suscitée. Pour elle, il s’agit seulement de s’approprier l’espace vital de sa victime car en vertu de sa vision magique du monde elle ne peut s’enrichir qu’en puisant dans un stock de biens matériels et spirituels limités. Même si la femme de Gabriel doute de la réalité du pouvoir sorcier, son mari, lui, le considère comme effectif. D’un point de vue anthropologique, l’accusation de mauvais sort est le point de départ d’une lutte et le déclenchement d’un processus visant à le lever. Dès lors, l’ensorcelé et sa famille vont se mettre en quête d’une personne susceptible de le lever, voire de rechercher, de punir ou d’empêcher la sorcière coupable de nuire à nouveau comme en témoigne la recherche finale de vengeance de Léonie. C’est à ce titre que Gabriel et sa femme vont consulter la « vieille Angèle », réputée sorcière. Être en rivalité avec une personne, avoir fait du tort à quelqu’un, être étranger au village, être riche, sont autant de critères économiques, sociaux ou affectifs qui désignent une personne comme victime potentielle de mauvais sort. Voilà le sens de la question d’Angèle demandant à Gabriel s’il a fait du tort à quelqu’un. En pensant à sa mère comme à une suspecte potentielle, le héros nous révèle aussi à quel point la sorcellerie dépend d’une forme de vie communautaire et implique une proximité spatiale, familiale, affective ou sexuelle. Le discours de la veille femme expliquant au couple ce qui l’a fait qualifier de « sorcière »: pratique de la médecine par les plantes, fréquentation de lieux, d’animaux et de personnes inspirant la peur tels la forêt, les chats noirs et les marginaux, nous ramène aux analyses de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss[3] selon lesquelles « la sorcière du village » est une fonction sociale définie par le groupe. La « vieille Angèle » n’a pas besoin de la preuve physique que constituerait la découverte des objets porteurs de la charge maléfique, les possibles motifs en plume de la couette, pour comprendre que son patient n’a pas été ensorcelé car elle sait ce qu’il en est de la véracité des croyances concernant le mauvais sort, elle n’est pas une sorcière dans le sens ou elle ne jouit d’aucun pouvoir surnaturel. Ses connaissances en botanique lui permettraient toutefois aussi bien de guérir que de rendre malade, d’où la consultation finale de Léonie.
           Alors que Gabriel s’apprête à détruire le contenu de la couette se manifeste un autre domaine du pouvoir sorcier, celui d’influencer voire de commander à distance le comportement humain. En effet, lorsque le héros croit entendre la voix de sa mère l’incitant à enfreindre les instructions d’Angèle en regardant les plumes contenues dans la couette, ses nerfs sont plus à vif que jamais. La mère jeteuse de sort lutterait-elle contre Angèle tentant de lever son sortilège? La sorcière met à profit les pouvoirs du langage, dire, c’est faire la guerre. En témoignent les accusations de mauvais sort, les recours aux prières, aux formules magiques marmonnées voire aux incantations afin de mettre en œuvre un pouvoir. Sa parole est donc destinée à agir sur le client de la sorcière ou sur l’être vivant ou l’objet qu’elle souhaite ensorceler. En principe, sa parole est souveraine et se réalise implacablement: en sorcellerie la parole est censée prendre prise sur le réel. Pour la sorcière, dire c’est faire. La sorcellerie met à profit la force du langage mais, ainsi qu’en témoigne le chaudron de la « vieille Angèle », elle subvertit aussi les arts ménagers et notamment l’art culinaire dévolu aux femmes.
          Le bouillon de sorcière que consomme la vieille Angèle et que le couple est terrifié à l’idée de goûter rappelle l’existence des remèdes, des philtres, onguents et autres potions à vertus plus ou moins magiques. C’est ainsi qu’Angèle prépare dans son chaudron des remèdes, des tisanes à base de plantes, d’où les « feuilles » qui sèchent prés du feu. Si certaines plantes sont connues depuis l’antiquité pour leurs propriétés magiques, d’autres, accessibles à tous, les simples, n’ont pas de propriétés magiques en elles-mêmes et ne développent leur potentiel que grâce à la mise en œuvre de rituels, gestes et mots. Le jardin d’Angèle, comme celui de toutes les sorcières de village doit se composer de plantes particulières, merveilleuses ou réputées « mauvaises » et que les humains ordinaires fuient. Cette médecine par les plantes que pratique la vieille femme a longtemps été la seule en vigueur dans les classes populaires rurales. Toutefois, l’aspect ésotérique de la sorcellerie a suscité nombre de fantasmes et de peurs grandement nourries par l’histoire. En effet, l’image de la sorcière telle que nous la connaissons aujourd’hui est née au Moyen Âge avec les traités de démonologie, l’inquisition et la chasse aux sorcières. La peur de Léonie et Gabriel quant aux ingrédients ignobles, c’est-à-dire étymologiquement « non nobles » employés par Angèle nous rappelle que la sorcellerie féminine rurale, la plus ancienne et la plus répandue n’a pour ingrédients que des éléments provenant du milieu naturel, faune et flore et des déchets que personne n’utilise à l’exception de la sorcière car ils sont les seuls à sa portée. Il est aussi évident que de tels ingrédients sont surtout totalement conformes aux buts d’une sorcellerie qui vise à détruire. Mais pour mettre en œuvre son pouvoir, la sorcière doit parfois joindre le geste à la parole ainsi qu’en témoigne le signe de croix fait par le sorcier ensorcelant le paysan du récit de Gabriel. Certains mauvais sorts, comme le « maou dat » laissent comme nous l’avons vu des traces concrètes. Dans ce cas, la charge maléfique qui nait des rites, formules ou prières à l’envers de la sorcière prend pour réceptacle un objet produit à distance. Des formes et des figures géométriques, boules, couronnes, ou anthropomorphes voire animales, oiseaux ou poupées, sont découvertes dans le matelas de la victime, c’est-à-dire dans sa literie, leur action exigeant un contact nocturne prolongé. D’où la sorcière tient-elle ses pouvoirs réels ou supposés? son histoire devrait bientôt nous l’apprendre.
         


     Mais d’où viennent les pouvoirs de la sorcière? Pour le clergé du Moyen Âge, la réponse est évidente: d’un pacte passé avec Satan. Le portrait type de la sorcière inquisitoriale vieille, laide, souvent affligée d’une quelconque « infirmité en b », boiteuse, borgne, bègue, bossue, toujours vêtue de noir voire de haillons, marmonnant sans cesse, ne parlant à personne et habitant une masure isolée ou plutôt une antre en compagnie de ses démons familiers, chats noirs ou crapauds, suppôts comme elle du démon, s’est progressivement imposée au cours du Moyen Âge avec toute l’imagerie du sabbat. La figure de la sorcière, devenue le monstre féminin par excellence, la vieille femme diabolique, se fixe jusqu’au stéréotype. Vieilles femmes vêtue de noir aux voix rauques, sèches et sifflantes comme celle du serpent de le genèse, aux ricanements diaboliques et aux rires démoniaques, le portrait se dessine. Leur rejet du christianisme et de l’église en tant qu’institution fondatrice de la société et de la communauté à laquelle elles appartiennent est pour leurs semblables le signe, cautionné par l’autorité religieuse, songeons au prêtre se détournant, invoquant la protection de Dieu et refusant de bénir la maison de la veuve au cours de la procession, de leur damnation et de leur caractère diabolique. Nos sorcières ne vont jamais à la messe, n’hésitent pas à critiquer les prêtres ou le sacristain de leurs villages voire à afficher des opinions anticléricales. Angèle, qui nie être sorcière au sens d’adepte du malin et affirme que le curé n’a pas réussi à lui faire « croire en son Dieu à sa manière » rappelle clairement le lien originel qui unit la répression du paganisme, de l’hérésie et de la sorcellerie au Moyen Âge. Que cela pourrait-il signifier sinon une contestation ou une remise en cause des dogmes de l’église? Les sorcières de Bernard Duporge correspondent parfaitement au portait-type de la sorcière inquisitoriale. Ajoutons à cela le veuvage et la pauvreté de « La chouette noire », la vie solitaire que mènent les deux prétendues sorcières dans des endroits mal entretenus, leur propension à fréquenter des lieux soupçonnés d’être hantés par le diable comme les bois et les forêt, la présence chez « La vieille Angèle » de deux chats noirs, d’un crucifix cassé, autrement dit d’un objet de culte, endommagé, de feuilles séchant prés d’un grand chaudron, sans oublier le caractère douteux des plantes qui composent son jardin, et il est complet. La sorcellerie qui se range ou prétend se ranger du côté du diable est une révolte religieuse. Les accusations de messes noires avec cierges, de commerce avec Satan: « beaucoup pensaient qu’elle parlait au diable, » sont alors toutes naturelles. La peur et le rejet sont les réactions suscitées par ces femmes fortes parce que prétendument maléfiques. Nous sommes loin de la magicienne belle, sage et savante du temps du paganisme et de la mythologie car toute magie est désormais sorcellerie et toute sorcière suppôt de Satan. Pour reprendre l’expression de Jean-Michel Sallmann[4], « la Fiancée de Satan est née ». Compromis entre une figure populaire et son image diabolisée par la culture savante du Moyen Âge, la sorcière de type inquisitoriale conserve cependant du temps du paganisme quelques unes de ses prérogatives, comme son rôle d’initiatrice ou la pratique de la médecine par les plantes, et ses attributs, comme le chaudron qui, de chaudron d’abondance et de sagesse qu’il était pour les Dieux et Déesses païennes est devenu la « chaudière du diable », c’est-à-dire un instrument de putréfaction maléfique.




                  Des victimes de la misère, des bouc-émissaires, les héroïnes d’une révolte radicale et radicalisée qui parle au nom de la femme opprimée, veuve, des miséreux et des vagabonds, voilà ce que sont les sorcières occitanes démystifiées, puisque dénuées de tout pouvoir surnaturel à proprement parler, de Bernard Duporge. Sorcières occitanes familières, associées à des localités précises qui constituent, avec leurs environs la zone d’influence où s’exerce leur pouvoir, Sainte-Hélène, la lande de Cordes, la « Chouette noire » et la « vieille Angèle » gardent pourtant tout le mystère de la vie grâce à la dimension ésotérique et au caractère parfois pittoresque de l’exercice de la sorcellerie. Personnages réalistes, elles sont issues et vivent dans le même environnement que les paysans qui les mettent en scène dans leurs contes et que le public qui les écoute. Espace domestique, lieu de travail, elles fréquentent les lieux du réel même s’ils ne sont décrits que par traits et exercent des activités en concordance avec le contexte spatial et temporel des contes, celui des landes du Médoc avant l’ensemencement des pins, au temps des agriculteurs, des bergers sur leurs échasses et de leurs moutons. Vieille femme diabolique, criminelle de lèse-majesté humaine et divine, la sorcière, figure ambigüe, renoue parfois avec ses rôles originels de fée, de guide, de médecin voire d’ange-gardien. De plus, aussi ingrat soit-il, le rôle de la vieille et méchante sorcière est nécessaire: sans la « Chouette noire » le « Chemin de la messe » n’aurait jamais eu de nom, la mort du sacristain et la disparition de la clochette seraient restées sans explication exacte et sans la « vieille Angèle », pas de vérité découverte et pas de paix retrouvée pour Gabriel.
Mais la langue, qui ne cesse d’évoluer, comme la sorcière, n’a pas dit son dernier mot. Le latin classique Sorcerius, a d’abord évolué en latin populaire en sortiarius, « diseur de sorts ». Au féminin, cela a donné sorciaria, devenu en français « sorcière ». Le mot est employé au féminin dès 1160 et au masculin vers 1280. Ces données étymologiques montrent à quel point l’histoire du mot met en évidence les attributs caractéristiques des sorcières des racontars. La sorcière est d’abord celle qui use du sors, sortis, la petite tablette de bois utilisée pour donner les réponses aux questions posée aux oracles. Au sens large, cela signifie « tirage au sort », « destin » et « prophétie ». Le don de prévoir l’avenir et la faculté de lancer des sortilèges sont donc les pouvoirs qui définissent la sorcière. Au XIIe puis XIIIesiècle, la « sorcelière » ou « sorceresse » est une femme que le diable a dotée de pouvoirs magiques suite à un pacte passé avec lui. Mais, ainsi que le rappelle Nicolas Saulais[5], la sorcière est aussi « tout être qui gagne le cœur des autres par quelque charme ou bonne qualité » ou « une personne vieille ou méchante ». La réussite, la chance, la santé, l’amour, la vie, la mort, les sorcières de l’auteur canaulais sont bien les héritières des déesses de la destinée qui tissent puis coupent le fil de la vie des personnages des racontars comme celui de l’homme en général.   
                

                     « Cric, cric,                                     [ Cric, cric,
                     Mon conte est fini.                           Mon conte est fini
                     Cric, crac                                        Cric, crac,
                     Mon conte es acabat.»                    Mon conte est achevé.]


Maintenant, à vous de tendre l’oreille pour écouter Les Racontars du courtiou.
À bientôt peut-être, rêveurs.

                                                                Laure Labeyrie


[1] Jean-François Bladé, Contes populaires de la Gascogne,  Bordeaux, Éditions Aubéron, 2008, nouvelle édition    qui rassemble les trois tomes de l’édition des contes populaires de la Gascogne  parus chez    Maisonneuve en 1886.
[2] Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Éditions Gallimard, collection Folio, 2007.
[3] Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale,  éditions Plon, deux volumes, collection Agora
[4] Jean-Michel Sallmann, Les sorcières, fiancées de Satan, Paris,  Éditions Gallimard, 1989, p 144.
[5] Nicolas Saulais, Quatre contes de sorcières, anthologie, Paris, éditions Nathan, collection carrés     classiques, 2009, p 86

Webographie:

 -aufildesmots2009.jimdo.com/du-cote-des-artistes/bernard-duporge//
-www.evene.fr/celebre/biographie/bernard-duporge-23820.php
 

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